miércoles, 3 de septiembre de 2014

PARCE QUE C' ÉTAIT LUI, PARCE QUE C' ÉTAIT MOI




Montaigne consacre un chapitre de ses célèbres Essais à l’amitié (« De l’Amitié », livre I, chapitre 28). Il a même pris soin d’y déposer une belle formule, promise à une longue postérité, pour désigner l’énigme du lien qui l’unissait à Étienne de La Boétie : « Si on me presse de dire pour quoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était moi. » Singularité et réciprocité.

C’est par la lecture d’un ouvrage d’Étienne de La Boétie, De la servitude volontaire (1549), que Montaigne eut « la première connaissance de son nom ». Il place leur rencontre dans un rapport étroit avec l’amour de la vertu et de la liberté. Les deux hommes, magistrats à Bordeaux, vont bientôt se connaître et se reconnaître pour amis, La Boétie tenant le rôle du « mentor », « avec le sérieux, l’expérience, l’autorité bienveillante de l’aîné », souligne Jean-Michel Delacomptée, universitaire (1).

MONTAIGNE RESTA PROFONDÉMENT ENDEUILLÉ
Dans les Essais, écrits bien après la mort de La Boétie en 1563, Montaigne analyse la nature de l’amitié. Raisonnable et vertueuse, elle se distingue du désir amoureux, « feu téméraire et volage ». « En l’amitié, c’est une chaleur générale et universelle, tempérée au demeurant et égale, une chaleur constante et rassise, toute douceur et polissure, qui n’a rien d’âpre ni de poignant », détaille-t-il. L’amitié est pourtant fusionnelle. « Chacun se donne si entier à son ami qu’il ne lui reste rien à départir ailleurs », écrit Montaigne. Les âmes « se mêlent et se confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel, qu’elles effacent, et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. »

Montaigne restera profondément endeuillé par la mort de son ami. En 1570, il renonce à sa charge de magistrat pour se consacrer à l’édition des écrits de La Boétie, qui lui a confié sa bibliothèque avant de mourir. Cette mort, édifiante, stoïque et chrétienne, Montaigne la célèbre dans la Lettre à son père sur la mort d’Étienne de La Boétie (1570), puis il entreprend la rédaction des Essais. C’est désormais par l’écriture que Montaigne se maintiendra en présence de l’ami irremplaçable, lui offrant un mausolée de mots.

(1) Montaigne, Lettre à son père sur la mort d’Étienne de La Boétie, préface et commentaire de Jean-Michel Delacomptée, Le Promeneur, 90 p., 12,50 €.


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