domingo, 10 de febrero de 2013

À LA TRAPPE, À LA TRAPPE!

Scène II



La grande salle du palais.


PÈRE UBU, MÈRE UBU, OFFICIERS ET SOLDATS; GIRON, PILE, COTICE, NOBLES ENCHAINES, FINANCIERS, MAGISTRATS, GREFFIERS.

PÈRE UBU
Apportez la caisse à Nobles et le crochet à Nobles et le couteau à Nobles et le bouquin à Nobles ! ensuite, faites avancer les Nobles.
On pousse brutalement les Nobles.

MÈRE UBU
De grâce, modère-toi, Père Ubu.
PÈRE UBU

J’ai l’honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens.

NOBLES
Horreur ! à nous, peuple et soldats !

PÈRE UBU
Amenez le premier Noble et passez-moi le crochet à Nobles. Ceux qui seront condamnés à mort, je les passerai dans la trappe, ils tomberont dans les sous-sols du Pince-Porc et de la Chambre-à-Sous, où on les décervèlera. Au Noble. Qui es-tu, bouffre ?
LE NOBLE

Comte de Vitepsk.
PÈRE UBU

De combien sont tes revenus ?

LE NOBLE

Trois millions de rixdales.

PÈRE UBU

Condamné !

Il le prend avec le crochet et le passe dans le trou.

MÈRE UBU

Quelle basse férocité !

PÈRE UBU

Second Noble, qui es-tu ?

Le Noble ne répond rien.

Répondras-tu, bouffre ?

LE NOBLE

Grand-duc de Posen.
PÈRE UBU
Excellent ! excellent ! Je n’en demande pas plus long. Dans la trappe. Troisième Noble, qui es-tu ? Tu as une sale tête.
LE NOBLE
Duc de Courlande, des villes de Riga, de Revel et de Mitau.

PÈRE UBU

Très bien ! très bien ! Tu n’as rien autre chose ?
LE NOBLE

Rien.
PÈRE UBU

Dans la trappe, alors. Quatrième Noble, qui es-tu ?
LE NOBLE

Prince de Podolie.
PÈRE UBU

Quels sont tes revenus ?
LE NOBLE

Je suis ruiné.
PÈRE UBU

Pour cette mauvaise parole, passe dans la trappe. Cinquième Noble, qui es-tu ?
LE NOBLE

Margrave de Thorn, palatin de Polock.

PÈRE UBU
Ca n’est pas lourd. Tu n’as rien autre chose ?

LE NOBLE
Cela me suffisait.

PÈRE UBU
Eh bien ! mieux vaut peu que rien. Dans la trappe. Qu’as-tu à pigner, Mère Ubu ?

MÈRE UBU
Tu es trop féroce, Père Ubu.

PÈRE UBU
Eh ! je m’enrichis. Je vais faire lire MA liste de MES biens. Greffier, lisez MA liste de MES biens.
LE GREFFIER

Comté de Sandomir.
PÈRE UBU

Commence par les principautés, stupide bougre !

LE GREFFIER
Principauté de Podolie, grand-duché de Posen, duché de Courlande, comté de Sandomir, comté de Vitepsk, palatinat de Polock, margraviat de Thorn.

PÈRE UBU

Et puis après ?

LE GREFFIER
C’est tout.

PÈRE UBU
Comment, c’est tout ! Oh bien alors, en avant les Nobles, et comme je ne finirai pas de m’enrichir, je vais faire exécuter tous les Nobles, et ainsi j’aurai tous les biens vacants. Allez, passez les Nobles dans la trappe.
On empile les Nobles dans la trappe.

Dépêchez-vous plus vite, je veux faire des lois maintenant.
PLUSIEURS

On va voir ça.
PÈRE UBU

Je vais d’abord réformer la justice, après quoi nous procéderons aux finances.

PLUSIEURS MAGISTRATS

Nous nous opposons à tout changement.

PÈRE UBU
Merdre. D’abord les magistrats ne seront plus payés.

MAGISTRATS

Et de quoi vivrons-nous ? Nous sommes pauvres.
PÈRE UBU

Vous aurez les amendes que vous prononcerez et les biens des condamnés à mort.
UN MAGISTRAT

Horreur.

DEUXIÈME

Infamie.

TROISIÈME

Scandale.

QUATRIÈME

Indignité.

TOUS
Nous nous refusons à juger dans des conditions pareilles.

PÈRE UBU

À la trappe les magistrats !

Ils se débattent en vain.
MÈRE UBU

Eh ! que fais-tu, Père Ubu ? Qui rendra maintenant la justice ?
PÈRE UBU

Tiens ! moi. Tu verras comme ça marchera bien.

MÈRE UBU

Oui, ce sera du propre.
PÈRE UBU

Allons, tais-toi, bouffresque. Nous allons maintenant, messieurs, procéder aux finances.

FINANCIERS
Il n’y a rien à changer.

PÈRE UBU
Comment, je veux tout changer, moi. D’abord je veux garder pour moi la moitié des impôts.
FINANCIERS

Pas gêné.
PÈRE UBU

Messieurs, nous établirons un impôt de dix pour cent sur la propriété, un autre sur le commerce et l’industrie, et un troisième sur les mariages et un quatrième sur les décès, de quinze francs chacun.

PREMIER FINANCIER

Mais c’est idiot, Père Ubu.

DEUXIÈME FINANCIER

C’est absurde.
TROISIÈME FINANCIER
Ca n’a ni queue ni tête.
PÈRE UBU
Vous vous fichez de moi ! Dans la trappe, les financiers !
On enfourne les financiers.
MÈRE UBU
Mais enfin, Père Ubu, quel roi tu fais, tu massacres tout le monde.
PÈRE UBU

Eh merdre !
MÈRE UBU
Plus de justice, plus de finances.
PÈRE UBU
Ne crains rien, ma douce enfant, j’irai moi-même de village en village recueillir les impôts.
Joan Miró


UBU ROI

Alfred Jarry



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