viernes, 11 de abril de 2014

DES "GLADIATIFS"




CHRIS MARKER ET LA TELÉ.-

J'ai un rapport complètement schizoïde avec la télé. Lorsque je me crois seul au monde, je l'adore, surtout depuis qu'il y a le câble. C'est même curieux de voir avec quelle précision le câble offre le catalogue des antidotes aux poisons télévisuels. Une chaîne passe un téléfilm ridicule sur Napoléon, on file sur Histoire écouter les méchancetés formidablement intelligentes d'Henri Guillemin. On a subi dans une émission littéraire le défilé des monstresses à la mode, on court sur Mezzo contempler le beau visage lumineux d'Hélène Grimaud au milieu de ses loups, et c'est comme si les autres n'avaient jamais existé...

Maintenant il y a les moments où je me souviens que je ne suis pas seul au monde, et là je m'effondre. La progression exponentielle de la bêtise et de la vulgarité, tout le monde la constate, mais ça ne relève pas seulement d'un vague sentiment de dégoût, c'est une donnée concrète, chiffrable (on pourrait la mesurer au volume des «ouah !» qui saluent les animateurs, et qui a monté d'un nombre alarmant de décibels depuis cinq ans) et qui relève du crime contre l'humanité. Sans parler de l'agression permanente contre la langue française.

Et puisque vous travaillez mon penchant russe à la confession, il faut que je dise le pire : je suis publiphobe. Au début des sixties, c'était très bien vu, depuis c'est devenu littéralement inavouable. Je n'y peux rien. Cette façon de mettre le mécanisme de la calomnie au service de l'éloge m'a toujours hérissé ­ même si je reconnais que ce mécénat diabolique donne quelquefois les plus belles images qu'on puisse regarder sur un petit écran (vous avez vu le David Lynch avec les lèvres bleues ?). Petite consolation dans le vocabulaire : il arrive que les cyniques s'y trahissent. Bronchant tout de même devant le terme de créateur, ils ont inventé celui de «créatif», et là je trouve que l'inconscient n'a pas mal fonctionné. On imagine bien ce que seraient, par exemple, des «gladiatifs».

No hay comentarios:

Publicar un comentario